(Editor’s note: This article by Pierre Gallerey originally appeared in the French paper, Le Figaro, on 21 November 1978. The original text of the article appears below. The English translation by Vincent Moulard is here.)
Ce suicide rituel, ce sacrifice qui semble surgi du fond des âges, est le deuxième acte du drame qui s’était noué samedi sur la piste de l’aéroport de Port Kaituma. Cinq membres de la commission américaine venue enquêter en Guyana sur les activités de la secte du «Temple du peuple», fondée aux États-Unis par un ancien pasteur James Jones, avaient été abattus alors qu’ils s’apprêtaient à rapatrier une quinzaine d’adeptes.
Léo Ryan, membre de la Chambre des représentants (démocrate, Californie), qui dirigeait la mission, trois journalistes et un cameraman de télévision, tombaient sous les balles des fanatiques de la secte qui leur avaient tendu une embuscade. Huit personnes étaient blessées, dont un diplomate américain en poste en Guyana.
Soumission totale
Un massacre qui rappelait brutalement l’existence et les agissements d’une secte connue comme il en pullule aux États-Unis. Après Charles Manson, l’assassin de Sharon Tate, Jim Jones, fondateur du «Temple du peuple» prend place à son tour au triste palmarès des tueurs mystiques. Agé de 46 ans, marié et père de sept enfants, Jim Jones avait créé à 18 ans une première communauté à Indianapolis (Indiana).
Dans les années 50, il met sur pied en Californie le «Temple du peuple» dont le but avoué est d’abolir les classes sociales et de prôner la fraternité. Habile, éloquent, très doué pour la manipulation politique. Jim Jones compte bientôt parmi ses amis nombre de personnalités influentes de Californie.
Pourtant, les méthodes utilisées par ce singulier pasteur, qui vont du classique «lavage de cerveau» aux sévices corporels, ne tardent pas à provoquer l’inquiétude et les plaintes de nombreux parents. Jim Jones exige de ses fidèles une soumission totale, un travail harassant dont il encaisse les bénéfices, extorque les pensions et les donations. En août 1977, Jim Jones quitte San Francisco avec 1 200 de ses condisciples pour créer une communauté agricole au nord-ouest de la Guyana, près de la frontière vénézuélienne. Dans cette colonie perdue dans la jungle, et baptisée Jonestown, Jones va pouvoir donner libre cours à son goût de la tyrannie. Jonestown est en fait un véritable bagne. Les membres de la communauté, qui ont pour tâche de défricher sous un climat épuisant quelque 10 800 hectares de forêts, sont roués de coups sous le moindre prétexte, parfois jusqu’à la mort.
Pour entretenir le climat mystique, Jim Jones organise des séances publiques de fausses guérisons miraculeuses, de flagellations au cours desquelles les membres de la secte confessent des crimes imaginaires.
Une vingtaine de membres de la secte se placent sous sa protection et demandent à rentrer aux États-Unis. Il ne faut pas qu’ils parlent.
Pourtant, malgré l’éloignement, les plaintes continuent d’affluer aux États-Unis, et notamment en Californie dont de nombreux adeptes sont originaires. On parle aussi de trafic d’armes et de stupéfiants. C’est pourquoi le «représentative» Léo Ryan, 53 ans, alerté par de nombreuses familles de sa circonscription de San Francisco décide, au début du mois de novembre, de se rendre en Guyana à la tête d’une commission d’enquête comprenant huit journalistes, des avocats de la secte -dont Mark Lane, le défenseur de l’assassin de Martin Luther King- un représentant de l’ambassade américaine de Georgetown, et quatre parents d’adeptes du «Temple du peuple».
Les témoignages qu’elle recueille sont accablants. Une vingtaine de membres de la secte se placent sous sa protection et demandent à rentrer aux États-Unis. Il ne faut pas qu’ils parlent.
Déjà, lors de la visite du camp, un jeune homme avait tenté de poignarder Léo Ryan. L’agresseur avait pu être désarmé et le groupe avait regagné en toute hâte l’aéroport de Port Kaituma. Il est 16h20, heure locale, lorsque l’attaque se déclenche. Enquêteurs, journalistes et les membres de la secte qui ont abandonné Jim Jones s’apprêtent à monter à bord des deux appareils dont les moteurs tournent déjà. Cinq ou six hommes surgissent d’une remorque tirée par un tracteur et ouvrent le feu à bout portant. Léo Ryan, le journaliste Don Harris et le cameraman Robert Brown, de la chaîne N.B.C., Gregory Robinson, photographe au «San Francisco Examiner» et une Américaine, Patricia Park, que l’on pense être membre de la secte, sont abattus à bout portant. L’un des deux appareils parvient tout de même à décoller avec les survivants et donne l’alerte. Les morts et les blessés -une dizaine, dont deux grièvement- seront transportés le lendemain à Georgetown.
Dimanche soir, un avion militaire de l’U.S. Air Force rapatriait en Amérique les survivants de la tuerie. Le même jour l’armée guyanaise lançait une opération en direction de Jonestown. Gênée par la pluie torrentielle, elle mettra de longues heures à y parvenir. Elle n’y trouvera que des cadavres. On ignore si Jim Jones figure parmi les morts, ou s’il rôde encore dans la jungle, avec ses derniers partisans.